Que savons-nous des Acadiennes pendant la Déportation ? Avons-nous épuisé toutes les sources les concernant ?
Si certaines Acadiennes traversent les épreuves de la Déportation avec leurs époux, enfants ou parents, nombreuses sont celles séparées de leurs cellules familiales originelles.
Veuves, orphelines, mères seules, certaines Acadiennes subissent la précarité économique, la vulnérabilité sociale et se replient, dans la mesure du possible, vers leurs anciennes solidarités communautaires. D’autres ne survivent pas aux déplacements imposés. D’autres encore cherchent du secours auprès d’administrations étrangères prévoyant des soldes ou autres aides matérielles (au Massachusetts ou en France métropolitaine par exemple).
Les sources les plus négligées concernent les rapprochements entre ces réfugiées et le clergé catholique. Ces sources montrent que l’Église catholique n’exerce pas qu’un rôle de charité auprès des déportées acadiennes. Comme l’indique le laissez-passer ci-dessous établi sous l’égide du prêtre de Bangor en faveur des sœurs Achée, l’Église assume une plus large fonction d’encadrement voire de tutelle. Ce prêtre stipule ainsi que Marie, Geneviève et Henriette Achée « agrégées aux Acadiens établis à Belle-Isle en Mer, sont de bonnes vies et mœurs et qu’elles ont fait leurs pâques en ladite paroisse ». Si l’exemple du spiritain Jean-Louis Le Loutre nous est bien connu pour son action de réinstallation des réfugiés acadiens à Belle-Ile-en-Mer, d’autres exemples confirment cette fonction de gouvernementalité. Rappelons que l’Église concoure à l’administration des colonies françaises d’Ancien Régime où sont envoyées des centaines de réfugiées acadiennes après le traité de Paris (1763).
Les ordres dominicain, jésuite, les congrégations des frères et sœurs de la Charité les fréquentent nécessairement une fois établies dans une société catholique. L’Église participe comme mentionnée sur le laissez-passer, à la préservation des bonnes mœurs et opère tel un agent régulateur de la vie sociale. Sa mainmise sur des institutions d’enfermement des sujets jugés nocifs (prostitués, délinquants, malades, indigents) dévoilent des lieux peu connus des historien-nes de la Déportation tels que l’hôpital général, le couvent ou l’hospice[1]. Ces lieux, dont certains sont entièrement dévolus aux femmes, font toute la lumière sur une expérience acadienne spécifiquement féminine de l’exil.
Faire naître un regard sur ces femmes est donc plus que jamais nécessaire, notre accès à l’expérience des déportées dans le monde atlantique étant toujours partiel et incomplet. Il faut pour cela nécessairement repenser le rôle que tient l’archive dans la recherche historique.
En France, la Congrégation des Filles de la Croix dont la maison-mère se situe à La Puye en Poitou, confirme la viabilité de cette piste de recherches. Au XIXe siècle, le père Sylvain Rigaud découvre que des réfugiées acadiennes y ont été secourues et recueille même le témoignage de l’une d’entre elles[2] Cela vaut évidemment en contexte colonial.
Au-delà de cette expérience de l’enfermement réduisant les réfugiées acadiennes au silence, leurs témoignages dépendent aussi en grande partie des sources privées. N’ayant pas la possibilité de s’exprimer au nom du groupe au même titre que les hommes pourvus du statut de chefs de famille, de nombreuses Acadiennes parlent en leur nom propre notamment dans les plaintes envoyées aux différents administrateurs. C’est le cas des sœurs Richard souhaitant s’établir comme couturières dans la ville de Morlaix en 1778. Cela ne figure en rien leur absence de solidarité envers le collectif, leur parole sur le groupe étant tout simplement niée par leur absence de légitimité dans l’espace public. Ceci a déjà été remarqué par Jean-François Mouhot qui note, pour la région de Saint-Malo, que les réfugiées acadiennes sont tout bonnement effacées des documents publics et reléguées aux seuls espaces privés : « quand elles figurent sur les documents, les Acadiennes sont fileuses, tisserandes, tricoteuses, servantes[3]. »
Faire naître un regard sur ces femmes est donc plus que jamais nécessaire, notre accès à l’expérience des déportées dans le monde atlantique étant toujours partiel et incomplet. Il faut pour cela nécessairement repenser le rôle que tient l’archive dans la recherche historique car trop souvent pensée comme mémoire de l’espace public. Or, qui constitue l’espace public sinon les acteurs historiques dont la parole jugée légitime est à même d’être conservée dans des lieux officiels ? Il ne fait aucun doute que ces archives reconstituent un « profil-type » du déporté acadien. Ce profil-type ne peut juger de l’expérience complète du groupe, d’ailleurs le représente-t-il ? La redécouverte des sous-groupes jugés à la marge car dégagés d’attaches familiales tels que les veuves, les orphelin-es, les jeunes femmes et hommes sans enfants à charge, questionne sur la marginalité. Ces sous-groupes ont-ils été effacés d’un certain récit collectif au profit de taxonomies opérées par les historien-nes ? Cousues entre elles, ces voix oubliées démontrent peut-être des logiques non-traditionnelles de négociations et d’entraide les inscrivant dans un devenir situé ailleurs que dans un mode de vie datant de l’Acadie pré-déportation.
[1] Natalia Muchnik, Les prisons de la Foi. L’enfermement des minorités XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 2019.
[2] Sylvain Rigaud, Vie de la Bonne Soeur Elisabeth Bichier des Ages, Poitiers-Paris, 1867.
[3] Jean-François Mouhot, Les réfugiés acadiens en France, l’impossible réintégration ? 1758-1785, Québec, Septentrion, 2009.
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