top of page
  • Photo du rédacteurRepenser l'Acadie

John Reid - Quelques réflexions sur l’Acadie et l’historiographie du «settler colonialism»

Dernière mise à jour : 8 avr. 2020

En tant qu’historiographie, le cadre interprétatif du «settler colonialism» – le colonialisme de peuplement – a un peu plus de vingt ans, ayant émergé des travaux des chercheurs australiens. Le livre fondateur de Patrick Wolfe, Settler Colonialism and the Transformation of Anthropology, a été publié en 1999, et Wolfe a poursuivi sur sa lancée en 2006 avec un article influent dans le Journal of Genocide Research, intitulé «Settler colonialism and the elimination of the native», dans lequel il lie encore plus clairement les colonies à des efforts prolongés d’effacement des sociétés autochtones. Ces premières interventions ont ensuite été prolongées par Edward Cavanagh et Lorenzo Veracini, qui, en plus de leurs propres travaux dans ce domaine, sont devenus en 2011 les fondateurs de la revue Settler Colonial Studies et par la suite les codirecteurs d’un grand recueil d’essais originaux qui s’intitule The Routledge Handbook of the History of Settler Colonialism (2016).

Le cadre du colonialisme de peuplement distingue entre des modèles de colonisation. L’exploitation économique des territoires d’outre-mer serait une forme de colonisation, tandis que l’occupation militaire à des fins stratégiques en serait une autre. Mais ni l’un ni l’autre n’exige nécessairement un peuplement permanent. Le colonialisme de peuplement, pour sa part, impliquerait le transfert permanent et multigénérationnel de la population, généralement dans un cadre impérial formel – bien qu’en fin de compte (comme avec le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et d’autres) le lien impérial sera souvent rompu. Bien entendu, le colonialisme de peuplement peut également faire avancer des objectifs militaires ou économiques. Toutefois, son principal impact consiste à créer une nouvelle société de colons qui vise finalement à remplacer et à effacer la société autochtone. Cela peut être fait par des moyens économiques, environnementaux, politiques, militaires, religieux-culturels ou psychologiques – ou encore une combinaison de ces stratégies.

Mais qu’en est-il d’une société formée grâce au peuplement colonial, mais qui n’a ni cette étendue, ni la portée environnementale ni la tendance à saper les structures sociétales des voisins autochtones? Surtout si cette société de colons devient elle-même subsumée dans une relation coloniale avec une force impériale étrangère? Le modèle de la colonisation de peuplement s’applique-t-il?

Eh bien, non – ou pas complètement, en tout cas. Comme pour tout nouveau cadre historiographique doté d’un véritable pouvoir explicatif, le colonialisme de peuplement suscite autant des questions que des réponses. Le déluge de colons britanniques et anglo-américains arrivés dans le Mi’kma’ki entre les années 1780 et 1850, ainsi que le pouvoir exercé par les institutions des colons telles les assemblées coloniales, fournit quelque chose comme un cas classique du colonialisme de peuplement. Mais l’Acadie, sous ses formes antérieures à 1755 et postérieures à 1762, se rapportait tout à fait différemment à la société et à l’économie autochtones, ainsi qu’à l’environnement physique du Mi’kma’ki.

Thomas Peace et moi avons commencé à aborder ce sujet et à proposer d’autres distinctions dans notre essai du Routledge Handbook. Dans un contexte général du nord-est de l’Amérique du Nord, nous avons laissé entendre que les établissements acadiens s’imposaient localement dans certaines régions clés de Mi’kma’ki et qu’ils s’imposaient de plus en plus au fur et à mesure que la population acadienne augmentait à l’époque précédant le Grand Dérangement. Cependant, l’absence de tout modèle général d’empiètement ainsi que l’absence chez les colons d’institutions vouées à faire progresser les incursions aux dépens des autochtones, ont empêché à tout moment le développement d’un processus de colonialisme de peuplement au sens plein.


Tout cela, peut-on soutenir, montre clairement que l’histoire acadienne est importante pour l’évolution continue du paradigme du colonialisme de peuplement, en ce sens que l’expérience acadienne offre la possibilité d’une complication saine de l’application du modèle du colonialisme de peuplement et sert d’antidote contre son application de manière simpliste. Mais dans quelle mesure l’inverse s’applique-t-il, c’est-à-dire en faisant valoir que l’approche coloniale de peuplement peut également être pertinente pour notre compréhension de l’histoire acadienne?

Je suggérerais qu’il existe des possibilités dans un certain nombre de domaines. L’une d’entre elles apporterait simplement une perspective comparative sur la nature de l’établissement acadien, la comparaison se faisant soit avec le colonialisme de peuplement dans ses formes plus complètes, soit avec d’autres variantes (très différentes) telles que la résidence hivernale des pêcheurs sur l’île de Terre-Neuve. Un autre domaine naîtrait d’un test analytique pour faire la distinction entre les régions de l’Acadie, que ce soit avant ou après 1755-62. Certaines régions se seraient-elles rapprochées localement davantage du modèle colonial de peuplement alors que, dans d’autres, les relations acadiennes-autochtones auraient-elles été dictées autrement? Troisièmement, un examen détaillé à la lumière du modèle du colonialisme de peuplement révèle-t-il des continuités et/ou des discontinuités avant et après le Grand Dérangement qui n’étaient peut-être pas si claires auparavant?

Le colonialisme de peuplement, bien sûr, n’est qu’un des cadres d’interprétation dans lesquels l’histoire acadienne peut être considérée, mais je crois qu’il peut nous offrir des pistes prometteuses.


Spécialiste chevronné de l'histoire du Canada atlantique, John Reid est diplômé de l'Université d'Oxford (BA), de l'Université Memorial (MA) et de l'Université du Nouveau-Brunswick (PhD). Il est membre du Département d'histoire de Saint Mary's University depuis 1985. Il a également été coordonnateur des études du Canada atlantique à Saint Mary's où il est actuellement chercheur principal au Gorsebrook Research. Institute.

501 vues0 commentaire
bottom of page