Ce texte de réflexion est issu d'une réunion de travail entre trois spécialistes de la transmission culturelle en contexte acadien et transatlantique, Éva Guillorel, Patrice Nicolas et Nathan Rabalais. La discussion avait pour objectif de trouver des points de convergence entre leurs recherches respectives dans le cadre du projet Repenser l'Acadie dans le monde.
Les trois interventions des chercheurs rassemblés dans ce groupe sont de nature assez contrastée, en lien avec leurs formations disciplinaires variées et les périodes chronologiques différenciées qu’ils privilégient. Éva Guillorel s’intéresse à la mémoire des conflits franco-anglais de la guerre de Sept Ans à travers les chansons de tradition orale acadiennes ; Patrice Nicolas analyse la circulation de motifs narratifs dans une chanson connue en Acadie mais dont les racines littéraires et musicales remontent à la Renaissance européenne ; Nathan Rabalais fait une comparaison entre l’expression culturelle et identitaire acadienne et louisianaise à travers les mèmes humoristiques postés sur les réseaux sociaux.
Les discussions et débats qui se sont déroulés au sein du groupe ont porté sur l’examen de chaque contribution de façon séparée, mais aussi sur les points communs qui rassemblent les trois études. Le principal point commun qui émerge est la question de l’adaptation locale de schémas culturels préexistants à travers des formes narratives qui expriment des marques d’identité. La dimension sonore (pour les chansons) et visuelle (pour les mèmes) est essentielle et, quel que soit le support de diffusion, la langue orale et ses expressions régionales sont au cœur du propos.
Dans les trois cas, les chercheurs réfléchissent aux transmissions culturelles en contexte communautaire, qui peuvent pallier une certaine absence de reconnaissance identitaire dans le discours officiel. Les questions tournant autour de la formulation de discours identitaires, du rôle plus ou moins actif des acteurs qui les créent, reçoivent et diffusent ainsi que de la performance culturelle sont posées, de même que la tension entre éphémère et permanence : les performances orales de chansons ou les créations visuelles de mèmes sont éphèmères mais s’ancrent dans un corpus narratif marqué par la permanence (dans la reprise de schémas culturels que l’on décale ou dans la stabilité de textes et de musiques qui, tout en ayant circulé sur de larges espaces et de longues périodes de temps, gardent une structure reconnaissable).
Les liens entre les recherches de Patrice Nicolas et Éva Guillorel sont évidents par la nature du corpus utilisé – des chansons de tradition orale recueillies lors d’enquêtes ethnographiques depuis le 19e siècle, mises en parallèle avec des sources écrites plus anciennes comme des pièces de théâtre ou des recueils de chants imprimés – et par l’accent porté à la circulation des motifs entre l’Europe et l’Acadie sur plusieurs siècles.
Mais les approches développées sont différentes : dans une perspective musicologique et littéraire, le premier s’intéresse à la transposition des mélodies, des textes et des refrains, en étudiant la transformation des personnages mis en chanson (on peut parler de véritables métamorphoses au sens ovidien du terme, où des animaux deviennent des hommes et vice versa). Dans une perspective historique et ethnologique, la seconde cherche à comprendre comment des chansons originaires de France racontant des épisodes de la guerre de Sept Ans sont sélectivement conservées, transmises et transformées dans la tradition orale acadienne, et ce que cet héritage oral révèle sur la mémoire locale d’un tel conflit sur le temps long.
Cette question de la transposition culturelle est tout aussi pertinente dans le cas des mèmes étudiés par Nathan Rabalais : leur ressort comique joue sur la reprise de références culturelles déjà connues et facilement comprises par la communauté dans laquelle ils circulent, qui sont décalées au service d’une mise en valeur de l’identité acadienne ou louisianaise - qu’il s’agisse de l’identité culinaire, géographique ou linguistique.
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